Tendre l’oreille pour écouter le parfum nous raconter son auteur. Philippe Di Méo déroule ici les notes d’une partition olfactive délicieuse dont l’effluve en dit long sur la nature aromatique des grands vins. Une interview dans laquelle l’effet de rareté du parfum et du vin précieux prend tout son sens.
Aurélie Siou- Philippe, tu es considéré comme une personnalité dans ton domaine de prédilection, de celles qui écrivent la nouvelle page de l’exception si parisienne qu’est le luxe. Un bel hommage, en accord avec l’authenticité de ta personne et la symbolique émotionnelle de tes créations. A quoi attribues-tu cette reconnaissance?
Philippe Di Méo- Je suis bien moins connu que d’autres de ma génération car depuis 25 ans de création, je m’éloigne volontairement de ma formation de designer. Trop instinctif de nature pour rester sur le droit chemin. Je ne résiste pas à la tentation d’aller vers des territoires inconnus. Le luxe m’attire pour son patrimoine, son savoir-faire, son exigence mais il peut devenir très ennuyeux aussi par son conservatisme. Alors je m’amuse à le respecter mais à le détourner vers d’autres usages, ou d’autres domaines un peu plus subversifs comme ma collection Souper Fin d’Art de la table érotique en 2008.
On reconnait quelques uns de mes projets pour de grandes marques du luxe, en champagnes, vins ou spiritueux, pour mon restaurant dans le Marais R’Aliment qui a ouvert un nouveau vocabulaire visuel et gustatif du bio, aujourd’hui avec ma marque de parfums Liquides Imaginaires mais au final, la presse ne semble pas trop savoir où me caser et cela me plaît.
A.S- Le Directeur événementiel des Galeries Lafayette affirme la suivante: “Dans le luxe il y a les nourritures célestes et les nourritures terrestres, l’art existe d’une façon spectacle, au fond il y a un renouveau de l’art décoratif, non plus dans les musées mais dans les boutiques ou chez les gens. Prenez Jeff Koons qui vient de dessiner une série de bouteilles pour Dom Pérignon, il y un rapport « ping-pong” entre l’art et les marques. L’art contemporain est devenu à la mode avec le phénomène des galeries, la créations des foires comme la FIAC et des familles comme les Arnaud, les Houzé et les Pinault, qui sont à l’origine de l’investissement dans l’Art. Au fond nous vivons une nouvelle Renaissance.“ Nicolas Bourriaud, le Commissaire de l’exposition « CookBook” a lui récemment introduit le concept du “devenir-Art” de la cuisine.
Deux questions en découlent:
Le savoir-faire des “créateurs de gout” et des “créateurs de beau” a une réelle résonance dans notre culture. De ton point de vue, quel résonance peut-on espérer dans la reconnaissance de l’oenologie comme une entité à part entière et connectée aux univers de l’art, du design, de la gastronomie?
D’après toi, le concept du “devenir-Art” de l’oenologie que nous revendiquons par le biais de “Wine & Art” a-t-il la place sa place, celle que nous revendiquons ici, dans cette nouvelle ère?
PDM- Je ne suis pas un expert en art au point de pouvoir parler de la place de l’art contemporain aujourd’hui. Mais il est évident que l’art s’est répandu vers d’autres domaines comme celui des marques de luxe par exemples, Très peu d’exercices sont réussis et légitimes à mon goût, on frôle parfois l’anecdotique. J’apprécie plus l’intervention de démarches artistiques dans des vitrines de magasins par exemple. Que ce soit des plasticiens, cinéastes, photographes,… l’espace à plus de sens. L’intervention sur un objet ou un flacon doit rester artisanale, valoriser un savoir-faire comparable à celui du vin. Poser juste une image ou une signature me dérange.
Le domaine du vin est encore à part, car les collaborations entres les artistes et le vin ne datent pas d’aujourd’hui, il y a toujours eu une proximité. Le couple vin-culture existe depuis la nuit des temps. Déjà considéré comme don des dieux dans la haute Antiquité, il a été représenté dans des objets, des sculptures, des tableaux, des romans, des poèmes, dans la musique. Il l exalte depuis toujours des passions intellectuelles et sensuelles. Baudelaire disait si bien : “Le vin rend l’oeil plus clair et l’oreille plus fine ”. Le vin a sa place dans certaines religions, dans toutes les traditions, toutes les populations, son plaisir est éternel et universel.
La gastronomie française a enfin été classée patrimoine immatériel de l’Unesco en 2010. Une protection pour l’art du “bien manger” et du “bien boire” à la Française. Une façon de reconnaitre la part culturelle du rôle de la table, sa convivialité, son partage, sa sophistication. L’Art de vivre à la Française ou French Touch, a son identité propre, et tous les domaines liés au plaisir y sont réunis, le vin en fait donc évidemment partie.
AS- Selon toi, quelle est la nature des rapports entre la création culinaire, la création artistique et l’oenologie et leur processus commun de transformation de la matière?
PDM- Le premier lien est évidement une histoire de passion, de création, l’oenologue au même titre qu’un créateur apporte sa vision personnelle au vin, sa signature. C’est l’homme qui influencera et suivra l’évolution du vin, composera avec ses notes, jouera un peu de sa couleur, de ses traits de caractère… on dit bien, du chef de cave qu’il élève le vin.
Il est effectivement question de matières, de celle à l’état brut à celle liquide qui remplira le flacon, car depuis le début l’homme doit dompter la nature, son sol, son climat … le vin est donc bien son oeuvre finale.
AS- Toi qui tend l’oreille pour écouter le parfum » et qui maitrise l’art d’encenser les accord de la fragrance, peux-tu me décrire quelles émotions provoquent chez toi la dégustation d’un vin d’exception?
PDM- Je ne suis qu’un modeste amateur. J’ai appris à apprécier les vins tranquilles et les champagnes grâce à mes clients et leurs prestigieuses marques. Tous m’ont beaucoup appris. Et la dégustation reste souvent rattachée au souvenir d’un échange avec ces “hommes” ou “femmes” du vin, que ce soit avec La Baronne Philippine de Rothschild pour le mythique Château Mouton Rothschild 2000, avec Richard Geoffroy pour la cuvée Dom Pérignon, Jean-Jacques Lesgourgues pour Château Laubade et plus récemment Jean Baptiste Lecaillon pour Roederer et Cristal sur le Flacon Médaillon. C’est l’humain qui m’a touché dans ce domaine. J’ai toujours trouvé que même si on considère un champagne comme un produit de luxe, ce qui fera éternellement sa différence avec les autres, c’est son origine terrienne.
On vous reçoit à la “maison” avec beaucoup de fierté et de convivialité. C’est cette dimension émotionnelle qui reste jusque qu’au bout, cette authenticité qui semble se libérer au moment de la dégustation.
AS- Tenir un discours sur le parfum est aussi compliqué que de se livrer sur l’appréciation d’un grand vin. Néanmoins y-a-t-il d’après toi une expérience sensorielle et olfactive commune entre l’appréciation d’un parfum et d’un vin précieux?
PDM- Je reste toujours sous l’influence des alcools, des liquides, c’est une matière qui me fascine depuis toujours, depuis l’eau de la Méditerranée. Donc oui l’expérience est similaire, tout comme le vocabulaire d’ailleurs, on parle de notes, d’accords, d’assemblage, d’arômes évidement, de macération, l’expérience du nez au palais est proche. C’est d’ailleurs ce qui m’a inspiré ma dernière Trilogie des Eaux Sanguines, avec Dom Rosa, un parfum pétillant et séduisant comme un champagne rosé, Bloody Wood, noble et boisé comme un grand cru et enfin Bello Rabelo, comme un Porto, un parfum liquoreux et gustatif aux notes de fruits secs. Il faut résister à la tentation de ne pas se vaporiser le palais !